pix by ElvertBarnes
Elle ne s’était jamais vraiment faite à cette appartement. Il ne lui déplaisait pas, non. Elle en énumérer avec une objectivité intègre les bons points, reconnaissait avec cette même probité leurs supériorités aux désagréments et pour passer un coup d’éponge sur ces derniers, n’hésitait pas à avancer l’argument du loyer raisonnable pour le quartier.
Elle avait été frustrée, les premières semaines, de ne pouvoir l’investir comme elle l’aurait souhaitée, empêchée par ce compagnon qui tenait, lui, à profiter des congés estivaux. C’était le premier « chez nous » qu’elle pouvait nommer et avait tenu à y mettre autant de l’un que de l’autre. Il ne s’était pas du tout impliqué dans les recherches, lui faisant entièrement confiance. Par la suite, elle s’était imposé le rituel de lui demander toujours par trois fois son avis, sachant qu’il n’hésiterait pas à s’en tirer en se rangeant au sien si elle n’insistait pas. Elle avait écouté, s’était montrée attentive, n’avait pas hésité à attraper un crayon, ressortir le mètre, remuer tout ce qu’ils venaient de mettre en place. Elle avait bridé son excentricité, voyant bien qu’elle ne prenait pas sur lui. Elle n’avait demandé qu’une petite chose : un pan de mur, là, près de la cuisine, qui lui faisait de l’œil depuis la première visite. Mais même là, elle était restée sobre finalement, renonçant à peindre à même le plâtre, conservant une unité de couleur.
Lui s’était montré assez vite satisfait de leur installation. Elle, souffrait de la blancheur médicale des murs. Touche par touche, elle l’avait convaincu de l’animer, à défaut de peinture, d’encadrés en tous genres. Elle avait donné le rouge comme rappel de couleur ici et là. Un coussin, une lampe, un plateau sur la table basse. Le résultat lui plaisait bien, représentant le meilleur compromis entre leurs envies respectives
Malgré tout, elle se rendait maintenant compte qu’elle ne s’était jamais vraiment faite à cet appartement. Ce « chez nous » construit petit à petit, meuble à meuble, en fonction des besoins qu’ils identifiaient au long des mois, ils l’avaient toujours envisagé comme provisoire. C’était l’affaire de quelques temps. Et elle comprenait aujourd’hui qu’elle ne s’était jamais tout à fait posée ici, qu’elle restait de passage, que c’était trop tard.
Elle parlait de plus en plus souvent de déménager. Il n’avait rien contre. Ils savaient pourtant que ce n’était pas raisonnable, financièrement parlant. Et puis lui s’était bien installé, il ne ressentait pas comme elle le besoin de plus en plus pressant d’avoir un « chez soi ». Celui-là même qui la rendait mesquine quand il en faisait trop, qu’il rangeait derrière elle, qui s’attaquait au ménage sans lui dire, quand il poussait un soupir de trop. Une mesquinerie qui lui soufflait que ce « chez nous » n’était pas ce qu’elle espérait, qu’elle était le parasite qu’il avait invité chez lui et qui, par moment, l’encombrait.
Alors elle commençait à couver ce rêve bien modeste d’avoir un espace bien à elle, dans ce futur appartement dont ils parlaient de plus en plus souvent. Un espace sur lequel il n’aurait aucun droit, même pas celui d’un regard réprobateur. En attendant, elle s’appropriait ce qu’elle pouvait. Ce coin de canapé, par exemple, qui lui était implicitement dévolu. Les quelques centimètres carré du balcon qu’occupaient ses plantes vertes. La planche qui lui servait de bureau.
Ce qui lui manquait encore d’espace vitale, elle allait le chercher ailleurs. Dans ses rêveries, dans le réaménagement des pièces qu’elle savait dessiner de tête, dans le temps où elle avait leurs murs pour elle seule.
Et puis en ligne. Extensions infinis de son espace d’expression. Mots, images et son. Internet sans limite, sans négociation parce que limité à l’espace physique que prenait son ordinateur, Internet mobile et transportable, de l’espace, encore et sans fin.
« Tu passes beaucoup de temps sur Internet » lui avait-il fait remarqué une nouvelle fois pendant ce week-end où il avait eu tout le loisir de l’observer assise à la même place pendant plusieurs heures cumulées. Elle savait que ce beaucoup signifiait trop. Trop à son goût à lui. Elle n’avait pas lancé le débat. Elle n’avait pas tenté d’expliquer parce qu’il ne comprenait pas. Elle n’était même pas sûre d’avoir envie qu’il comprenne. Elle l’avait regardé avec douceur. « Et à quoi tu as occupé tout ce temps, toi ? »
Il n’avait rien répondu. Pour cette fois, ils étaient quittes. Pour cette fois.
Note de bas de page :
– Quittez tout de suite ces gros sabots, m’sieur dame. Si la fiction touche à la réalité, ce texte reste essentiellement fictionnel.